Cependant, l’église détenait pour la postérité une preuve écrite du bien fondé de sa propriété, pieusement conservée dans ses archives. Les sommaires descriptions des biens fonciers du cartulaire d’Elne permettent de prendre la mesure de la faiblesse des connaissances topographiques de cette époque. La superficie des champs n’est presque jamais précisée, pas plus que leurs dimensions ou que la description de leur forme géométrique. Dans le but évident de « s’appuyer » sur un élément concret facilitant le repérage des parcelles, les scribes signalaient généralement des « confrontes » pris dans l’environnement immédiat, tels que : les chemins, les bâtiments d’habitation, un champ particulier, une propriété, une agouille, le marais, un ruisseau, une particularité, etc…
L’observation des cartes topographiques et des vues aériennes des secteurs de Montescot, d’Elne, de Corneilla del Vercol, de Théza, de Bages et d’Ortaffa, permet de relever quelques particularités concernant l’orientation parcellaire générale.
Nous distinguons globalement deux sortes de parcelles :
- les parcelles orientées N-O. selon un angle moyen de 54° dans le sens longitudinal
- les parcelles n’obéissant à aucune règle particulière
Depuis que les machines ont remplacé la force animale pour le travail de la terre, quelques remembrements se discernent par-ci, par-là, mais on perçoit distinctement que la topographie parcellaire ancienne transparaît nettement et qu’elle n’a pas varié, vraisemblablement, depuis l’époque romaine, faisant suite à la première vague de défrichements et de restructuration cadastrale.
Bien des champs décrits dans le cartulaire d’Elne existent encore aujourd’hui. Il suffit pour s’en convaincre d’observer la parcelle désignée au Xème siècle sous le nom de « Arsea Mala » (Malarse) à l’est de la commune de Bages. Pour autant, on ne peut affirmer avec certitude que les champs orientés vers le nord-ouest furent tous mis en culture au temps des colons romains. Nous savons depuis longtemps, et les récentes études à ce sujet le confirment, que notre région accueillit beaucoup de colons hispa-goths et gascons, entre la seconde moitié du IXème siècle et la première moitié du Xème siècle, qui remirent en culture des champs abandonnés et défrichèrent de nombreux terrains incultes. Or, les secteurs de Bages, Montescot, Villeneuve et Corneilla se situent dans les dépressions comblées par des apports alluviaux riches et faciles à travailler avec les moyens rudimentaires de l’époque. Nous trouvons trace de la pratique d’assèchement dans deux contrats du Xème siècle où il est question d’un « aquaducto » proche de « Villaseca » (Avalry) et des « kanales » situés à Corneilla, zones marécageuses définies par le toponyme « estagno Avaîrino » (marais d’Avalry).
A partir de Ruscino, le tracé de la via Domitia semble se diviser en plusieurs directions selon le point de franchissement des Albères choisi par les voyageurs de l’époque. Ainsi, la « voie directe » définie par les archéologues passerait par Villeneuve de la Raho et sûrement par Montescot. Certaines citations relevées dans le cartulaire ne laissent aucun doute à ce sujet. Dans les terroirs qu’elle traversait, la via Domitia servit quelquefois de « cardus maximus » à la cadastration. Selon les régions, l’axe général des parcelles formait un certain angle avec le cardo comme au nord de Perpignan (45°) ou parrallèle à Bompas. La « centuriation » (1) à partir de cet axe ne peut être mise en évidence dans notre secteur, mais nous discernons une orientation générale commune dans la région à l’ouest d’Elne et jusqu’à Thuir.
Il est donc probable que l’alignement des parcelles selon cet angle défini corresponde aux défrichements effectués à l’époque romaine.
Mais nous devons tenir compte d’un paramètre non négligeable émergeant de loin en loin dans les descriptions topographiques du cartulaire. En effet, les scribes des IXème et Xème siècles indiquent parfois l’orientation générale d’un champ par la désignation d’un vent dominant tel que l’Aquilon ou le Cers, que nous désignons « Tramontane » et « vent d’Espagne ». Pour les hommes de la terre habitués au grand air, le sens du vent soufflant habituellement était bien plus significatif que les orientations cardinales quelque peu abstraites au regard de leurs connaissances.
Dès lors, l’orientation générale parcellaire en usage dans la région serait peut-être le fruit, non pas d’un savant alignement défini par des connaissances topographiques précises, mais d’une solide tradition pleine du bon sens rural qui sait tirer partie de tous les éléments de la nature.
Conclusion : L’étude du cartulaire d’Elne permet d’effectuer des découvertes très intéressantes dans divers domaines touchant l’histoire de notre commune.
En premier lieu, on peut définir que la majorité des chemins et routes que nous empruntons remontent au haut Moyen-Âge, sinon à l’époque romaine. Deux citations au moins laissent supposer que la via Domitia passerait par Montescot. Une structure visible sur les photographies aériennes met en évidence l’existence d’un bâtiment rectangulaire au sud de Belric, et du mobilier archéologique romain (sigillées (2), céramiques diverses, fonds d’amphores), éparpillé dans les environs, permet de croire que cette structure daterait de l’époque romaine. Dès lors, la station « Ad stabulum », que nous savons distante de 4 milles romains (12,5 km) de Ruscino (Château Roussillon), pourrait bien se trouver ici. Des fouilles archéologiques confirmeront ou infirmeront cette hypothèse qu’il convient de traiter avec toute la prudence qui s’impose.
D’autre part, l’orientation parcellaire constatée dans une grande partie de la région ouest d’Elne obéirait à une orientation nord-ouest assez particulière. Est-elle l’objet des colons romains alignant leurs parcelles sur le cardo maximus représenté par un tronçon de la via Domitia ou seulement de l’alignement des champs face au vent dominant dicté par une tradition séculaire ? Plusieurs citations confirment l’existence de certaines agouilles au Xème, voire au IXème siècle. Il en est de même pour les églises de Sainte-Marie de Montescot et de Saint-Vincent d’Avalry (disparue) citées elles aussi à de nombreuses reprises dans les documents du cartulaire. Elles sont à classer dans la famille des monuments pré-romans du Roussillon et parmi les plus anciennes de France.
Auteur : José TORAL (article tiré de Montescot, passé simple d’un poblet, vol. 2 – à paraître)
(1) « Centuriation » : la centuriation romaine, sorte de cadastre, divisait la terre en zones plus ou moins aptes à la culture.
(2) « Sigillées » : céramiques fines décorées, datant de l’époque romaine.
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